Si les amateurs de B.D., de littérature ou de cinéma guettent avec impatience la remise des principaux prix récompensant ces oeuvres culturelles tout au long de l’année, il en est de même avec les jeux. Peut-être avez-vous déjà remarqué en vous promenant à la boutique des petits macarons sur quelques boites signifiant que ces titres avaient été distingués. Or, si pour la littérature ou le cinéma nous avons tous une idée de la signification et de l’importance de ces prix, c’est plus compliqué concernant le jeu de société. Ce petit article a pour but de vous donner une grille de lecture afin de vous aider à vous y retrouver.
Le Spiel des Jahres
A tout seigneur tout honneur, commençons par le prix le plus prestigieux du monde du jeu de société : le Spiel des Jahres. Grâce à votre puissance déductive vous aurez tout de suite compris qu’il s’agit d’un prix allemand. Rien d’étonnant à cela, depuis le Moyen-Âge déjà, l’Allemagne est le pays du jeu et du jouet et c’est d’Outre Rhin qu’est arrivé le renouveau du jeu de société il y a plus d’une vingtaine d’années.
Depuis sa première édition en 1978, ce prix s’est installé comme le seul véritable prix qui compte au niveau international, assurant à l’éditeur primé une confortable vente de 200 à 300 000 boites par an, même si la tendance de ces dernières années est que les ventes du prix Enfant soient tout aussi (voire plus) importantes. Composé d’un jury de journalistes (ils sont presque une vingtaine à travailler sur les différents prix décernés), ce prix récompense un jeu qui se serait distingué par son originalité, sa rejouabilité, la qualité de la rédaction de ses règles et son esthétique matérielle.
Si les jeux récompensés sont toujours excellents, le Spiel est tombé depuis plusieurs années dans une certaine homogénéité des jeux primés en partie du fait de son mode d’organisation. En effet, l’association qui gère le prix se rétribue en fonction du nombre de boites vendues. Cela a pour conséquence une tendance à ne primer que des jeux consensuels au fort potentiel commercial, bref des jeux formatés pour la famille allemande.
En parallèle à ce prix principal, deux autres prix sont liés, le Kinderspiel des Jahres (jeu de l’année Enfant) et le Kennerspiel des Jahres (jeu de l’année Expert).
Quelques jeux primés : Scotland Yard, Sherlock Holmes Détective Conseil, Catan, Carcassonne, les Aventuriers du Rail, Qwirkle, Dixit (le premier jeu 100% français récompensé !), Hanabi, Codenames, Azul.
L’As d’Or – Jeu de l’année
Né de la fusion de deux prix distincts (l’As d’Or et le Jeu de l’Année), ce prix est dans la droite ligne de la tradition selon laquelle l’organisation du Festival des Jeux de Cannes est l’occasion de primer un jeu publié pour la première fois en français dans les 18 mois ayant précédé la tenue du Festival. Issu d’une véritable volonté de promouvoir la pratique et l’originalité du jeu de société contemporain et le jeu comme activité culturelle, ce prix n’est pas véritablement destiné à un public de connaisseurs, mais tend, à l’image du Spiel des Jahres à récompenser un jeu capable de plaire à un large public. Si les choix du jury sont parfois contestés, ils n’en demeurent pas moins que les jeux sélectionnés sont toujours de très bons titres et le palmarès de cette année 2021 a fière allure.
Depuis 1988, le prix est porté par l’organisation du Festival. A l’origine, seuls les jeux exposés sur le Salon pouvait concourir ce qui nous pousse à avoir pas mal de recul sur les premiers lauréats, bien que l’on y trouve des titres ayant fait une belle carrière comme Abalone ou les cartes Magic ! Il faut donc attendre 2003 pour voir le prix s’ouvrir à l’ensemble de la production ludique.
Le jury est composé de personnalités venant d’horizons divers et se renouvelle en partie chaque année. En 2021 on trouvait en vrac des membres de la presse ludique (Ludovox, Es-tu game, la Radio des jeux), des ludicaires comme nous, une ludothécaire ou encore une collègue du Bar à jeux lyonnais Moi j’men fous je triche.
A noter qu’à limage du Spiel des Jahres, il existe des prix secondaires pour le jeu de l’année Enfant, et le jeu de l’année Expert.
Quelques jeux primés : Abalone, Supergang, Quarto, Magic, Blokus, Time’s Up, les Aventuriers du Rail, Takenoko, Concept, Unlock, Mysterium, The Mind.
Le concours international de créateurs de jeux de société de Boulogne Billancourt
Porté depuis 1977 par la Ludothèque de Boulogne devenue depuis Centre Ludique de Boulogne, ce concours a depuis de nombreuses années une renommée qui dépasse largement nos frontières. Ceci s’explique en partie par le grand soin apporté par le jury dans la sélection des lauréats (parmi près de 200 prototypes de jeux participant chaque année). La particularité de ce prix par rapport aux précédents vient du fait qu’il récompense un jeu qui n’est pas encore publié, lui offrant ainsi une vraie publicité auprès des éditeurs en vue d’une future édition (plus de 100 lauréats ont déjà été édités). De plus, les organisateurs du concours prennent un soin particulier à défendre et présenter les jeux finalistes auprès des éditeurs internationaux, notamment chaque année lors du Salon d’Essen. Là aussi le jury est renouvelé régulièrement et tâche de représenter au mieux la richesse de la sphère ludique (boutiques, ludothécaires, auteurs, organisateurs de festivals etc.)
L’originalité est un critère fondamental au moment de la délibération du jury.
Quelques jeux primés : Abalone, Quarto, Formule Dé, River’s Dragon, Mare Nostrum, Tokaido, Petits Meurtres et Faits Divers, Not Alone.
Les autres prix :
De nombreux autres macarons peuvent être trouvés sur les boites de jeu. Bien souvent, ils sont une marque de reconnaissance pour les éditeurs qui aiment les faire figurer (à juste titre !) sur leurs boites de jeu. Les éditions Opla nous ont même fait l’honneur d’imprimer notre petite récompense honorifique, le Seal of Approv’owl, sur la dernière édition de leur jeu Kosmopolit !
Tous ces prix doivent être pris pour ce qu’ils sont, une marque de reconnaissance certes, soulignant le fait que le jeu primé n’est pas dénué de qualité, mais ils ne doivent pas vous induire en erreur sur leur portée. A la rigueur, les prix décernés par les sites références Tric Trac et Boardgamegeek sont des points de repères intéressants car ils sont le résultat de votes des internautes passionnés (avec le biais qu’ils mettent en lumière les goûts d’une communauté bien précise, bien que très importante dans les deux cas).
Avant de terminer ce petit tour d’horizon, je souhaite vous mettre en garde contre un prix auquel il ne faut SURTOUT PAS accorder la moindre importance.
La médaille d’or du concours Lépine
Si cette récompense est probablement très valorisante dans certains domaines, autant vous dire que dans celui du jeu, elle ne devrait en aucun cas vous convaincre d’un quelconque achat. Non seulement elle est décernée par des gens n’ayant aucune culture ludique moderne, pour qui le premier jeu de lettres éducatif venu ou le moindre dérivé du Monopoly semble une révolution ludique, mais en plus, il suffit presque de concourir pour repartir avec sa médaille. Non, vraiment, faites nous une fleur : oubliez le concours Lépine (d’autant qu’il a tendance à inscrire dans l’imaginaire collectif les auteurs de jeux comme des inventeurs, niant ainsi la dimension culturelle de leurs créations).
Quelques jeux primés : Non sérieusement, on vous a dit de ne pas vous y intéresser ! Bon puisque vous y tenez, voici la description (trouvée sur le site officiel du concours !) d’un jeu médaillé de bronze en 2012 : « jeu de société sous le principe des petits chevaux« . Outre le fait que « sous le principe des petits chevaux » ne veut rien dire, du moins en français, il faudrait peut-être leur indiquer que le principe des petits chevaux doit avoir 1500 ou 1600 ans dans sa forme la plus ancienne.
Mais sinon, oui oui c’est chouette les mecs, hein, y’a pas de doute. Et puis, sûr qu’en 2012 personne n’avait fait mieux…